Philippe Jouanny, président de la FEP, dresse un premier bilan de la situation du secteur de la propreté depuis le début de la crise sanitaire.

Voilà 9 mois que la crise de la Covid-19 est apparue, quelle est votre analyse de la situation ?

Je souhaite d’abord adresser des mots de remerciements aux chefs d’entreprise et salariés du secteur qui, au cours de ces derniers mois d’incertitude, ont fait preuve d’un courage et d’une ténacité remarquables pour assurer nos prestations dans la lutte active contre la propagation de la Covid-19.

Dès les premiers jours du confinement, nous avons mis en place une « cellule de crise » avec les présidents des chambres et des collèges réunis au moins une fois par semaine, les permanents tous très engagés pendant cette période pour répondre heure par heure aux questions. Le SVP juridique a explosé avec des centaines d’appels par jour. Tous les domaines étaient impactés : le social, le commercial, les marchés publics, la technique, la sécurité et la santé bien sûr. L’expertise de la FEP, des chambres régionales et leur agilité ont été au rendez-vous et c’est un sentiment de fierté pour nous tous.

C’est aussi le sentiment d’avoir été utiles, efficaces et engagés pour le bien de la communauté nationale dans cette lutte quotidienne. Le regard des Français sur notre secteur est encourageant puisque 84 % reconnaissent que les agents et entreprises de propreté ont permis de lutter efficacement contre la propagation du virus (Institut BVA). Aujourd’hui, le second confinement risque de faire plonger des entreprises, notamment les PME et TPE sur des secteurs qui misaient sur la fin d’année pour rebondir. Et puis le développement du télétravail va – je crois — impacter notre métier à court et moyen termes. Je crains que l’année 2021 soit une année difficile malheureusement.

Mais cette crise a mis aussi en évidence la nécessité de disposer d’environnements sains et notre savoir-faire est un atout stratégique. À nous de valoriser encore notre expertise et répondre à ce besoin d’hygiène qui sera, je pense, un mouvement de fond qui perdurera après cette crise sanitaire.

Ces sujets sont du ressort du dialogue social de branche qui, vous le savez, est continu avec les organisations syndicales.

La profession a été mise en lumière durant la crise mais dernièrement des députés ont déposé une proposition de loi pour les agents assurant l’entretien de l’Assemblée nationale. Qu’en pensez-vous ?

Si nos métiers sont désormais un peu mieux mis en lumière, nous nous en félicitons. La FEP travaille ardemment depuis plusieurs années en ce sens grâce aux nombreuses campagnes de communication mais aussi grâce à une stratégie de relations publiques porteuse.

Toutefois, je suis un peu étonné de voir des personnes s’emparer soudainement d’un sujet en pensant en connaître les réalités au risque de les déformer…

C’est dans ce contexte que nous avons, après plusieurs tentatives infructueuses, pu échanger en mai dernier avec le député François Ruffin sur sa proposition de loi intitulée « Femmes de ménage : encadrer la sous-traitance, cesser la maltraitance ». Cet échange a été l’occasion de répondre point par point à ses demandes et de lui rappeler que ces sujets sont du ressort du dialogue social de branche qui, vous le savez, est continu avec les organisations syndicales.

Au-delà, le débat sur la valorisation de cette « deuxième ligne » est en cours et nous allons y prendre part activement. À ce titre, permettez-moi de souligner que la revalorisation des salaires sera de + 3 % par rapport au SMIC estimé pour 2021 et nous avons revalorisé la prime annuelle (+ 50 % sur 2 ans et doublé en 5 ans). Nous allons aussi organiser une nouvelle Conférence de Progrès « Rendre visible la deuxième ligne : une conférence de progrès dans le secteur de la propreté pour engager une démarche partenariale de responsabilité sociale et économique » pour laquelle nous avons sollicité un parrainage du gouvernement et qui réunira des entreprises, les représentants des salariés, des experts, des élus mais aussi des clients privés et publics : changer la donne ne peut se faire qu’avec les acheteurs.

Êtes-vous en relation avec le Questeur de l’Assemblée nationale sur ce sujet ?

Bien évidemment ! Depuis 2017, le fonctionnement de l’Assemblée nationale a évolué sous l’impulsion de ses présidents successifs. C’est dans cette démarche que le Questeur Florian Bachelier a contacté la FEP pour avoir d’une part des informations sur les caractéristiques de nos métiers, mais également voir comment la Questure pouvait améliorer ses appels d’offres et in fine les conditions de travail des agents de propreté des entreprises intervenant au Palais Bourbon. La FEP est en contact direct et permanent avec les entreprises détentrices des marchés public en question, qui se sont retrouvés sous le feu des projecteurs.

Avons-nous été surpris par le dépôt de la résolution de Monsieur Ruffin ?

Pas vraiment. En relation constante avec les décideurs publics, nous connaissons plusieurs cosignataires attentifs à nos enjeux et problématiques de branche. En approfondissant, on remarque que l’objectif de cette résolution, invitant l’Assemblée nationale (le client public) à verser un 13e mois aux agents de propreté, salariés d’un prestataire, pose des problèmes. Je m’explique. Le versement d’un avantage financier d’un client à un salarié extérieur peut être considéré comme un transfert du lien de subordination. Mais au-delà de ces considérations juridiques d’importance, il y a un principe « À travail égal, salaire égal » ; comment dans la même entreprise des salariés vont bénéficier pour certains d’entre eux d’un 13e mois et pour d’autres non ? Si prime il doit y avoir, c’est à la seule discrétion de l’employeur, pas du client. Mais ne nous y trompons pas, la revalorisation des salaires ne se fera pas sans la révision des prix : unique levier d’action.

Nous avons proposé aux entreprises qui sont sur ces sites d’établir, avec un cabinet externe, un diagnostic approfondi du marché et de voir quelles améliorations pourraient être envisagées. Nous voulons être pragmatiques et travailler sur des faits objectifs.

Pour travailler dans des environnements sains, la prestation de propreté n’est plus nécessaire mais indispensable.

Une revalorisation consentie par les clients ?

Ce n’est pas tant une question de prix que de vision. Demain, comme hier, le déconfinement invitera les Français à revenir sur leurs lieux de travail. Pour travailler dans des environnements sains, la prestation de propreté n’est plus nécessaire mais indispensable et notre savoir-faire un atout stratégique. Or, dans le même temps, certains de nos clients subissent des difficultés économiques importantes (l’hôtellerie et l’événementiel par exemple) et vont avoir du mal à revenir à un niveau d’activité antérieure avant plusieurs années et sont donc en train de revoir les achats de prestations à la baisse même si leurs clients exigent des efforts en la matière. On peut aussi parler de l’impact du télétravail sur nos prestations.

Pour le secteur de la propreté, on estime à environ 25 % de présence en moins dans les bureaux ce qui, pour nos entreprises se traduira par une baisse d’activité et à terme une destruction de l’emploi. On le voit : nous sommes face à une injonction paradoxale : d’une part, la propreté n’a jamais été autant perçue comme un service essentiel et indispensable pour les usages (salariés et clients de nos clients) et d’autre part, la tentation est grande pour beaucoup de nos clients qui subissent des difficultés économiques de rationaliser à la baisse leur cahier des charges.

Dans ce paysage complexe, la FEP accompagne ses clients pour réfléchir différemment l’achat de propreté avec le site achat-proprete.com, et leur proposer une prestation sur-mesure en fonction de leurs besoins réels pour un achat de propreté efficace et responsable. Vous le voyez, il ne s’agit pas seulement d’une augmentation des prix, mais bien de l’évolution complète d’une grille servicielle à destination de nos clients. Les métiers de la propreté sont loin d’être dépassés, bien au contraire. Ils évoluent en permanence pour toujours être à la hauteur des enjeux.