Mettre l'utilisateur final au cœur de leur stratégie pourrait bousculer la production de valeur au sein des entreprises de propreté. Un changement dans leur manière de travailler sera possible à condition qu’elles s’en donnent les moyens et que leurs clients soient assez matures.

Le 26 juin, une vingtaine de professionnels, entreprises de propreté et fournisseurs, étaient réunis pour la seconde table ronde de l’année, organisée par Services, la FEP, le CTIP et l’Afimin. Trois heures de débat ont permis aux participants d’échanger sur le thème : « Quelle place pour l’utilisateur final dans la stratégie commerciale des entreprises de propreté ? ».

Tous s'accordent à dire que la maturité diverge selon les clients et les secteurs d’activité, comme l’explique Magali Bousquet, directrice marketing et communication du groupe Onet : « L’évolution du rôle des directeurs de l’environnement de travail implique une forte sensibilité à la qualité de vie au travail, ce qui se ressent dans les cahiers des charges. » Onet doit répondre à ces nouvelles attentes. Le groupe parvient à se différencier avec une approche centrée sur l’utilisateur final. « Nous avons investi dans des études, notamment celle menée par Ipsos, poursuit Magali Bousquet. Cela permet de convaincre factuellement nos interlocuteurs qu'un environnement de travail agréable et sain est un levier de motivation et de performance. Nous les accompagnons avec une approche conseil grâce à ces données. » Onet observe une hausse des appels d’offres d’une forme nouvelle, notamment avec l’hospitality management.

En tant que spécialiste du facility management, Engie Cofély a noué un véritable partenariat avec les entreprises de propreté. « Notre but commun est de satisfaire le client final dont les attentes tournent souvent autour du bien-être des occupants, qui constitue une sorte de baromètre, estime Azzdine Bourdeche, ingénieur expertise. La vision de l’utilisateur final sur l’entreprise de propreté est importante (conditions de travail, équipements, coprésence…). »

« Nous entendons parler d’une volonté d’améliorer la qualité de vie au travail (QVT) chez nos clients, pas systématiquement formalisée dans le cahier des charges », affirme Philippe Santos, directeur grands comptes Propreté chez Elior Services. L’enjeu d’attractivité et d’image de l’entreprise est important pour séduire et recruter, notamment les jeunes générations. L’espace de travail évolue et l’entreprise de propreté doit s’adapter à ce changement.

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Des maturités différentes

« Certains de nos clients ont déjà une conciergerie connectée et une application pour leurs collaborateurs. Ils considèrent le bien-être au travail comme un sujet primordial. Mais il faut donner du sens à cette démarche », assure Éric de Morais, directeur commercial France Derichebourg Propreté & Services associés.

« La maturité des clients reste très différente. La culture d’entreprise et la marque employeur sont des notions qu’il faut connecter », poursuit-il. Pour lui, la relation partenariale est difficile mais incontournable à mettre en place sur le terrain. « Pour cela, le digital est un formidable accélérateur de personnalisation. Mais la personnalisation c’est avant tout de l’humain, de l’attention, elle n’est jamais acquise », estime Éric de Morais.

Pour Victor Duarte, directeur commercial Ile-de-France pour Atalian, le besoin n’est pas toujours clairement exprimé dans les dossiers de consultation. « Lors des consultations, nous observons que le bien-être des collaborateurs de nos clients est de plus en plus souvent pris en compte, ce besoin est accentué lors d’un réaménagement ou d’un déménagement de locaux, témoigne-t-il. Il existe des tendances avec l’hospitality manager ou le flex office. Parfois, nous sommes impliqués dans une réflexion sur la manière dont la propreté peut participer à la QVT. »

« Nous constatons une différence importante entre les sites premium parisiens et les implantations régionales, indique Damien Manicardi, représentant la direction commerciale du groupe OMS Synergie. La typologie de clients et la destination du site entrent en ligne de compte. » Pour lui, depuis 2015 seulement, le prix n’est plus le seul critère avec la disparition des enchères inversées. La notion de QVT commence à arriver. « Dans les centres commerciaux, on observe une montée en gamme dans les cahiers des charges, poursuit-il. Cela passe par le design de chariots, la montée en gamme des équipements requis ainsi que les tenues vestimentaires pour les collaborateurs selon la nature des fonctions et bien sûr, par la notion de traçabilité de prestations. Le client a donc pris conscience que la qualité de la prestation hygiène et propreté amélioreront la fréquentation du centre. Les tarifs ne sont donc plus ainsi en régulière décroissance. »

Chez Pro Impec, certains clients tertiaires se préoccupent du bien-être au travail de leurs salariés. « Nous avons un bel exemple avec un important client qui privilégie a mis en place des espaces de coworking et de nouvelles zones de restauration, observe Cédric Roland, responsable d'exploitation grands comptes. En tant que prestataire, on nous demande aussi d’apporter une dimension sociale plus importante, en favorisant au maximum le travail en journée pour les collaborateurs qui le souhaitent. »

« Nos clients sont sensibles à ce que nous faisons pour nos salariés, compte tenu de l’article 7 », ajoute Élodie du Besset, chargée de mission au sein du groupe Puissance 5. Malgré ce constat, elle déplore qu’ils ne soient pas matures concernant le travail en journée/en continu, pourtant source d'amélioration et de la qualité de vie au travail.

Pédagogie et communication

« Nos donneurs d’ordres ne voient pas vraiment comment leur prestataire propreté peut participer à la QVT de leurs salariés », estime Élodie du Besset. Le changement passera par une amélioration de l’image des métiers de la propreté. « Il faut faire prendre conscience au client que la QVT a un réel impact économique », note Éric de Morais.

La satisfaction de l’utilisateur final passe aussi par l’amélioration des conditions de travail des agents de propreté. « Nous devons sensibiliser le client à ce sujet », affirme Philippe Santos. « La notion de qualité de vie de nos salariés est mieux prise en compte, poursuit Victor Duarte. Mais on ne nous demande pas nos préconisations pour améliorer la QVT des salariés de nos clients, en amont des consultations. »

Les clients ne perçoivent pas toujours la valeur ajoutée des métiers de la propreté. « C’est à nous de montrer l’impact et l’importance de la propreté, notamment par des données tangibles. La démarche marketing des entreprises de propreté doit se centrer sur l’accompagnement des clients dans la transformation de leur environnement de travail », estime Magali Bousquet.

La pédagogie et la communication ne doivent pas être négligées. « Poser des réglettes sur les étagères des TGV est un exemple intéressant pour informer les usagers qu'elles ont été nettoyées », note Élodie du Besset. Il faut inciter le client à communiquer auprès de ses salariés (ou des utilisateurs finaux) sur les prestations de propreté prévues au contrat.

« La question de la sensibilisation du client est très importante, souligne Marc Guerrien. C’est l’objectif notamment des ateliers de la relation clients qui se déroulent sur l’ensemble du territoire. Ils permettent aussi de voir comment faire évoluer l’offre de services de propreté. Toutes les dimensions sont prises en compte : typologie des usagers bénéficiant du service, caractéristiques du site, système de décision. » Un site a été mis en place www-achat-proprete.com à destination des clients pour les inviter à mieux penser leur commande en matière de propreté.

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Mesurer la satisfaction

Pour l’hôtellerie ou les parcs d’attractions, la propreté a un impact direct sur l’activité. « Les plates-formes de réservation hôtelière et plus largement les réseaux sociaux ont une forte influence sur l’image des hôtels ou lieux de loisirs », ajoute Damien Manicardi. La notion d’hôtellerie de service prévaut : le chef d’équipe prend ainsi la fonction de gouvernante, en charge du housekeeping.

« Dans l’hôtellerie, les clients sont conscients de l’importance liée à la propreté, souligne Philippe Santos. Les plates-formes hôtelières ou les réseaux sociaux fournissent des informations précises et actualisées sur la satisfaction liée à l'hygiène et à la propreté. » Pour lui, en revanche, dans le tertiaire, les indicateurs QVT ne sont pas assez matures. Le lien direct entre la propreté, le bien-être au travail et l’efficacité est encore difficile à mettre en avant.

Nombreuses sont les entreprises de propreté qui ont mis en place dans les sanitaires, à la demande de leurs clients, un dispositif de mesure de la satisfaction (content, pas content). « L’analyse de ces données reste subjective, souligne Éric de Morais. Il est difficile d’avoir des remontées tests satisfaisantes pour adapter la bonne réponse. Cette méthode n’est pas complètement convaincante. »

« Les sanitaires de l’aéroport de Lesquin par exemple sont tous équipés de smileys. C’est bien mais que faire des données, s’interroge Cédric Roland. Elles ne sont pas exploitées. »

Onet a choisi de placer l’utilisateur final au centre de sa démarche pour mieux répondre aux préoccupations des clients. Il propose des dispositifs de mesure de la satisfaction de l’utilisateur. Toutefois, la mesure de la satisfaction doit bien être prise en compte dans son contexte général. « La satisfaction des usagers ne dépend pas que du résultat de la prestation de propreté. Par exemple, la luminosité, l’état des locaux ou leur fréquentation influent directement sur le sentiment de « propre ». Il est donc essentiel que nos interlocuteurs aient connaissance de l’intégralité de ces éléments », insiste Magali Bousquet.

Il est possible de satisfaire l’utilisateur final grâce à différentes enquêtes réalisées sur sites. « Parfois, sur des sites de taille moyenne, le responsable QVT participe aux contrôles qualité périodiques. Cela nous permet d’interroger un panel de collaborateurs afin d’établir un relevé de satisfaction moyen, témoigne Philippe Santos. Ces relevés sont essentiels pour nous, ils mettent l’accent sur l’importance d’adapter les fréquences et/ou d’adapter son budget, par exemple. »

Il peut être intéressant de fournir au client le rapprochement entre le contrôle qualité contradictoire et le baromètre de satisfaction des utilisateurs. L'écart peut être significatif.

Adapter son offre ?

Mesurer la satisfaction est possible avec des clients matures et doit être cadré en amont. L’exemple du service à bord sur les lignes grande vitesse a montré que la présence d’un agent de propreté visible augmente de façon conséquente les taux de satisfaction. « En règle générale, dans un centre commercial (jusqu’aux quatre étoiles), la présence de nos agents de service pour assurer la permanence est prévue au cahier des charges », souligne Victor Duarte. « Des affichages pourraient être l’une des solutions pour informer les utilisateurs de notre passage, note Philippe Santos. Des signatures olfactives permettent aussi de rassurer et de satisfaire les usagers. »

Pour Damien Manicardi, seuls les clients les plus matures ont compris l’importance de rendre visible la propreté et d'y consacrer un budget plus élevé pour tendre vers la satisfaction de l’utilisateur final. Il estime qu'il est possible de décliner cette approche sur les principaux sièges parisiens. Mais le budget est plus élevé, en raison notamment d’un encadrement intermédiaire plus présent. « Seuls des sièges sociaux premium d’entreprises privées pourraient accepter ce différentiel de prix », lance Damien Manicardi. OMS Synergie travaille pour un client du secteur bancaire, en partenariat avec Engie Cofély, qui a une réelle volonté de s’occuper du bien-être au travail de ses utilisateurs internes. Toutes les prestations sont orientées vers eux. Le groupe réfléchit ainsi à déployer certains concepts issus de l’hôtellerie : digitalisation de la relation client-prestataire, borne de satisfaction, traçabilité, travail en journée…

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Co-activité : une solution ?

Le travail en journée/en continu peut faire partie des solutions innovantes tournées vers l'utilisateur final. « Cette organisation peine à percer, lance Éric de Morais. Nous devons être prêts à rendre visibles nos salariés. » Pour envoyer un message fort à ses clients, Derichebourg Propreté a recruté un directeur de l’excellence, qui vient de l’hôtellerie de luxe. Tous les agents sont formés au savoir-être et les cadres à l’excellence de service. « Dans un point de vente, l’agent fait partie de l’expérience client. Il doit aussi avoir la bonne attitude, c’est essentiel », ajoute-t-il.

« Le travail en journée doit être mis en place progressivement, estime Philippe Santos. Des aménagements par zones peuvent être choisis au besoin. Nous devons adapter, mixer les organisations par zoning et par prestation en faisant du sur-mesure. »

« Les fonctions d’agents de permanence réapparaissent sur des dossiers importants, ajoute Damien Manicardi. Ces collaborateurs doivent avoir les aptitudes concernées par la fonction et être en capacité d’échanger avec les clients. »

« La productivité du travail en journée n’est pas comparable avec les interventions en site fermé, nuance Damien Manicardi. Le budget devra être revu à la hausse non seulement lié à la baisse de la productivité mais aussi à l’emploi de matériels plus compatibles aux interventions en présence des collaborateurs de nos clients. »

« La question pour que le travail en journée/en continu soit viable est de savoir comment adapter la prestation côté entreprise et client », ajoute Marc Guerrien, responsable du pôle Études du Monde de la propreté. « Mettre en œuvre le travail en journée sans requestionner la nouvelle performance du service n’est pas pertinent, estime Pierre-Yves Le Dilosquer, en charge d'une thèse sur les modèles économiques des entreprises de propreté (Université de Paris, CNRS) au sein du pôle Études du Monde la propreté. Cette organisation peut être utilisée pour augmenter la valeur de la prestation, par exemple en confiant à l'agent qui intervient en journée la réalisation de tâches complémentaires. »

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Changer de paradigme

Convaincu de l'importance de l'utilisateur final, Éric de Morais a récemment décidé de changer totalement d'approche lors d'une soutenance : « Nous avons auparavant regardé sur les forums les critiques des utilisateurs (les détracteurs) et pour chacune d’entre elles nous avons proposé une action adaptée. » Derichebourg Propreté a ensuite réuni à plusieurs reprises sur le site client ses spécialistes du commerce, de l’exploitation, du retail et de l’excellence de service pour analyser les problèmes. « En étant force de proposition, nous avons eu la prétention d’améliorer le parcours client et le succès a été total, ajoute Éric de Morais. Nous avons commencé par parler de bénéfice pour le client final, finalement celui qui nous paie tous… Nous n’avons pas abordé la partie technique tout de suite. C’est un véritable changement de paradigme. La vraie faute, finalement, c’est celle que l’on ne corrige pas. Partir de la compréhension d’un usage pour, ensuite, construire la meilleure offre. » Le client a été séduit et a adhéré à cette nouvelle approche.

Pour les professionnels, un discours différent doit en effet être choisi avec, en ligne de mire, l’utilisateur final dont il faut recueillir l’avis pour avoir un levier auprès de l’acheteur. « Nous devons être capables de signaler à notre client lorsque ses occupants sont insatisfaits afin d'adapter nos prestations en conséquence, voire les compléter », poursuit Magali Bousquet. Onet a mené une étude Ipsos sur la vision hygiène et propreté des salariés français (sur un panel de 10 % des salariés français). Elle montre que l’utilisateur final a la possibilité de faire évoluer les choses, par exemple en se tournant vers son CHSCT pour faire remonter les problèmes.

Pour les petits et moyens clients, les choses évoluent également. « Nous notons que le mieux vivre en entreprise est un sujet quelle que soit la taille de l’entreprise. Les solutions Onet pour le bien-être des occupants s’adressent à tous nos clients, petits, moyens et grands : signalétique spécifique, campagne de communication, mesure de satisfaction, diagnostic occupant, solution écologique, technologique… », affirme Magali Bousquet. Les prestations doivent être adaptées à la vie de l’occupant.

Nouvelles formes de travail

En parallèle, le passage au flex office au sein des sites tertiaires va impliquer de raisonner en coût à l’usage. « Une personne qui arrive dans un bureau partagé doit être sûre qu’il soit propre. Les salariés deviennent les « clients » des responsables des services généraux », affirme Victor Duarte. La cellule Innovations du groupe Atalian travaille sur de nombreuses solutions. Pour juger la satisfaction globale de l’exploitation d’un nouveau bâtiment, des mails sont envoyés pour demander l’opinion des occupants, et des actions sont menées pour les sensibiliser sur la particularité du métier.

« Contrairement à ce que nos clients ont imaginé initialement, le flex office ne permet pas de réduire les coûts de propreté », souligne Philippe Santos. Elior Services étudient différents moyens, à la fois pratiques et écologiques, qui permettraient de répondre aux enjeux, notamment de désinfection des lieux partagés. Il n’existe pas de réponse unique mais les adapter selon le client et le site. « Pour le flex office, il faut penser à bien informer les utilisateurs sur les prestations réalisées », affirme Azzdine Bourdeche.

Pour un siège social à Lyon, Pro Impec a travaillé sur la communication en proposant des chevalets qui sont posés sur les bureaux la veille de l’intervention. « Nous ne travaillons plus en batterie mais en zoning, indique Cédric Roland. Nous ajoutons quelques bonbons offerts et cette démarche fonctionne très bien. » Les contrôles qualité sont très satisfaisants, ainsi que la relation clients. Pour un autre site, l’entreprise de propreté a mis en place un « steewart » présent toute la journée pour piloter la propreté. C’est le relais entre les prestations et l’activité du client. « Nous n’en sommes qu’aux prémices de ce type de démarche », ajoute Cédric Roland.

« Nous sommes en cours de réflexion pour toucher plus largement les utilisateurs. Informer les occupants des locaux de notre passage grâce à une solution post-it 2.0, par exemple, pourrait être la solution innovante », indique Philippe Santos. « Il est nécessaire de savoir quelle information doit être diffusée, comment et auprès de quels interlocuteurs », ajoute Victor Duarte. Pour lui, parvenir à ces évolutions nécessitera de recruter des profils de responsables de site très spécifiques capables d’avoir plusieurs rôles pour atteindre un objectif précis : le bien-être des occupants. Ils animent une réunion, ils forment les agents, ils recueillent les informations, ils s’occupent de la relation clients…

« L’hospitality management est une piste pour répondre à ces différents enjeux, indique Victor Duarte. L’agent de propreté est aussi un relais d’information. Les outils digitaux de traçabilité peuvent faciliter cette mission. »

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