
Au regard de la Conférence de Progrès de septembre 2021 pour changer la donne dans le secteur de la propreté, comment les décideurs publics d’aujourd’hui et de demain peuvent-ils contribuer à changer la dynamique en faveur d’une nouvelle approche des marchés, notamment publics ?
Serge Babary : Comme cela a été souligné lors de cette Conférence de Progrès, les conditions de travail des salariés du secteur de la propreté sont largement influencées par les pratiques d’achat des acheteurs publics et privés. Si la crise sanitaire a rendu visible les métiers de la propreté, la pleine reconnaissance de ses entreprises et de leurs salariés comme acteurs stratégiques de la continuité économique et sociale suppose de révolutionner les pratiques des acheteurs et de les responsabiliser. Ils doivent prendre conscience des conséquences de leurs pratiques sur le secteur de la propreté et ne doivent plus simplement rechercher le moins disant mais bien le mieux disant ! Les cahiers des charges ne doivent plus être conçus sous le seul prisme de la productivité mais en tenant compte des conditions d’emploi. À l’évidence, une telle révolution des pratiques ne pourra passer que par une meilleure formation des acheteurs. Seule une prise de conscience collective de la dimension sociale à intégrer dans les cahiers des charges permettra de faire baisser la pression des prix et d’oublier la culture du « low cost ».
Graziella Melchior : La Conférence de Progrès a permis la conclusion d’engagements pour la reconnaissance des métiers du secteur de la propreté et l’amélioration de leurs conditions de travail. Malheureusement, l’achat de prestations de propreté et d’hygiène reste souvent jugé au seul prisme du coût, sans prise en compte de ses spécificités sociales. Les conditions de travail des salariés du secteur sont induites par les pratiques d’achats des clients, tant publics que privés, ce qui impacte directement les conditions de travail et plus largement les conditions de vie des salariés.
Afin de mieux approcher les marchés publics tout en améliorant les conditions des salariés, une concertation des parties prenantes et une coconstruction sont indispensables. C’est ensemble que des engagements mutuels pourront être pris, engagements qui seront porteurs de progrès pour tous. Dans son rapport sur la commande publique, la sénatrice Nadège Havet recommandait ainsi de définir des méthodes afin de mieux intégrer les critères sociaux et environnementaux dans les marchés publics, ce qui permettrait à la commande publique de remplir son rôle de levier des transformations économiques, environnementales et sociales.
Vous étiez présents, le 16 février, pour la présentation du Livre Bleu de la FEP et de ses « 22 solutions pour 2022 ». Quelles sont les propositions qui ont particulièrement retenu votre attention ?
Graziella Melchior : La nécessité de valoriser les métiers de la propreté est la proposition qui a le plus retenu mon attention. Lors de la crise sanitaire, nous nous sommes aperçus que beaucoup de métiers, pourtant en première ligne étaient dévalorisés et peinaient à recruter. Les acteurs de l'orientation, de l'insertion et de l'éducation nationale ont un rôle fondamental à jouer en la matière. Le développement de l'apprentissage dans ce secteur doit permettre de renforcer l’attractivité de ces métiers en les faisant mieux connaître. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel - dont j'ai été rapporteuse pour avis - a assoupli le dispositif de formation en apprentissage pour le rendre plus efficient, plus transparent et plus sécurisant pour les jeunes et pour les entreprises. Cette loi a permis à l'apprentissage d'atteindre des records historiques puisqu’en 2021, 718 000 contrats d'apprentissage ont été signés, ce qui a permis le développement de nombreuses filières qui peinaient à attirer des candidats à l'embauche. Le secteur de la propreté en est sûrement bénéficiaire.
Serge Babary : Conscient des difficultés rencontrées par ce secteur d’activité et des enjeux pour l’ensemble de l’économie, j’ai effectivement souhaité assister à cette présentation. Les propositions qui ont particulièrement retenu mon attention sont celles relatives aux marchés publics. Ainsi que cela a été rappelé, 80 % des entreprises du secteur ont moins de 20 salariés, quand 43 % des salariés exercent leur activité dans plusieurs entreprises. Les pratiques d’achat doivent donc tenir compte de ces caractéristiques. L'allotissement, ainsi que la méthode de comparaison des offres, sont autant d'éléments susceptibles de limiter ou de favoriser l'accès des PME aux marchés. L’acheteur public doit en prendre conscience et valoriser les achats spécifiques de proximité. En 2021, j’ai d’ailleurs interpellé le ministre chargé des PME sur le sujet (cf. question n° 23500). Il est important d’apporter des dispositions claires pour l'encadrement de l’achat public, et de valoriser les bonnes pratiques. La politique publique d’achat est structurante pour la profession. L’État a son rôle à jouer, il doit être exemplaire !
À la veille des élections présidentielles, quels sont les défis que doit relever la prochaine majorité en faveur des métiers de services comme ceux de la propreté ?
Serge Babary : Si le secteur de la propreté est en plein essor avec un chiffre d’affaires passé de 13 à 16 milliards d’euros en 5 ans, le principal défi à relever va consister à préserver l’attractivité du métier et éviter la pénurie de main-d’œuvre bien connue dans de nombreux secteurs d’activité. Le travailleur de la propreté ne doit plus faire partie des invisibles ! Pour cela, l’État doit se doter de moyens suffisants pour valoriser le métier, sa formation, et améliorer sa qualification. Préserver l’attractivité supposera également d’améliorer les conditions de travail des salariés du secteur. Les entreprises devront avoir les moyens de garantir des conditions d’emploi satisfaisantes. Comme le précédent, le Livre Bleu de 2022 met en avant le sujet RSE. Le législateur doit s’emparer sérieusement du sujet et définir rapidement un cadre clair.
Graziella Melchior : Il faut que ces métiers de service soient visibles. Si la rémunération doit faire l’objet de discussions avec les branches et les partenaires sociaux pour diminuer les écarts avec d’autres professions, l’État commanditaire peut, dans les marchés publics, choisir ses critères d’achat de prestations. Accorder une attention particulière aux conditions de travail, aux horaires, à une utilisation de produits en sécurité, c’est reconnaître un travail de l’ombre qui met les administrations et autres bâtiments en lumière. Un cadre propre et aseptisé contribue grandement à la qualité du service public. Il est normal que cette valeur ajoutée soit reconnue et rémunérée à son juste prix.
">Continuez votre lecture en créant votre compte et profitez de 5 articles gratuits
Pour lire tous les articles en illimité, abonnez-vous