Déjà existante avant la crise sanitaire, la tendance de placer l'utilisateur final au centre des préoccupations est plus que jamais présente aujourd'hui. Aux entreprises de propreté de s'adapter aux nouvelles attentes de clients tertiaires que la crise sanitaire a bousculés, notamment en termes d'organisation. La piste d'une offre basée sur les prestations hôtelières pourrait-elle être une solution pour répondre à ces nouveaux enjeux ? Faut-il aller jusqu'à l'hospitality management ?

« Quelle offre « hôtelière » pour le tertiaire ? Faut-il tendre vers l’hospitality management ? », c'est le thème abordé lors d'une table ronde organisée par la FEP, le CTIP et Services le 6 juillet 2021.

L'évolution de la demande vers de nouveaux services, au plus près des besoins des occupants des locaux, a été accélérée par la crise sanitaire. L'épidémie de Covid-19 a entraîné des mutations dans le secteur tertiaire. « La part de l'hygiène est devenue prégnante, souligne Gilles Giordano, responsable d'agences France Sud chez Elior Services. Nous observons une bonne reprise avec une tendance à la rationalisation des m2 et certaines évolutions du métier. »

« Nos clients nous ont demandé un accompagnement différent avec plus de réactivité, poursuit Gilles Giordano. Pour la recherche de solutions les mieux adaptées, nous avons travaillé en partenariat étroit. » La crise sanitaire pourrait accentuer la tendance à la coconstruction des offres.

Conséquences de la crise sanitaire

« La pandémie nous a contraints à nous adapter à des fluctuations d'activité fortes, explique Ludovic Mores, directeur régional Nord et Est de Pro Impec. Nous devons aussi faire attention car la santé financière de nos clients dépendra beaucoup de la reprise économique à venir. » Chez Pro Impec, les équipes ont constaté une manière différente d'acheter la propreté, notamment en raison du télétravail. On peut s'attendre à une mutation de la demande. D'autant que les attentes des collaborateurs ont évolué. « Avec la crise sanitaire, les surfaces à entretenir dans le secteur tertiaire risquent très certainement de diminuer », ajoute Ludovic Mores. Les espaces seront de plus en plus diversifiés, bureaux individuels, open space, postes nomades, zone de réunions à distance ; ce qui va modifier le fonctionnement des entreprises de propreté et les solutions proposées aux clients.

Pour Éric Laune, dirigeant du cabinet Auris Finance (conseil en rapprochement d'entreprise), la création de sites de coworking accueillant des salariés déportés est aussi une évolution à noter. Ces derniers ont aussi besoin de nouveaux services (exemples : petit-déjeuner, plateau-repas… ).

Les études conjoncturelles réalisées par le Monde de la Propreté tout au long de la crise indiquent une importante baisse du chiffre d'affaires lors du premier confinement, comme l'explique Pierre-Yves Le Dilosquer du Pôle études R&D du Monde de la Propreté : « Nos études ont montré des effets importants sur le chiffre d’affaires des entreprises, en particulier durant les premiers mois. Le tertiaire a été fortement touché même si tous les sites n'ont pas été fermés. Les demandes en désinfection et la nécessaire adaptation des prestations ont parfois permis de rééquilibrer la balance. » Avec l'accentuation du recours au télétravail, il estime également que cette période pourrait faire apparaître de nouveaux services pour renforcer la performance des environnements de travail. 

Une offre « hôtelière » pour les bureaux ?

Elior Services travaille sur une adaptation de son modèle dans l'hôtellerie de santé au secteur tertiaire, en mettant en place une véritable hôtellerie d'entreprise. « Il s'agit de tendre vers l'hospitality management pour créer un concept de parcours utilisateur via des outils numériques adaptés, affirme Gilles Giordano. Nous avons choisi de construire une offre flexible sur-mesure allant de l'entretien des locaux à l'événementiel en passant par la désinfection, la restauration ou même la conciergerie. L'objectif est d'améliorer la qualité de vie au travail. » Elior Services se base sur les données existantes sur le site comme le taux d'occupation, l'organisation, la part du télétravail, les attentes du client pour ses salariés… Elle déploie des outils sur site pour mesurer la qualité de l'air par exemple, la fréquentation, etc., qui permettent de réaliser des diagnostics. « Nous avons différents leviers pour accompagner le client à choisir l'offre la plus adaptée », ajoute-t-il.

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Pro Impec
Ludovic Mores, Pro Impec -Les clients demandent que nous adaptions notre intervention en fonction de l'occupation des surfaces.

Pour répondre aux besoins de ses clients, Pro Impec propose une offre de prestations adaptées. « Les clients demandent que nous adaptions notre intervention en fonction de l'occupation des surfaces et de la fréquentation des différentes zones du bâtiment, pour les parties communes, les salles de réunion ou les sanitaires, indique Ludovic Mores. Pour y parvenir, nous nous basons sur les statistiques et les outils domotiques du bâtiment. Le but est d'adapter le parcours de l'utilisateur en fonction des disponibilités de service, par exemple pour savoir si la salle de réunion a été nettoyée. » L'entreprise de propreté peut alors proposer les prestations de services associés (préparation des salles de réunion, relamping, petite maintenance…).

La tendance est au développement de prestations annexes pour répondre aux besoins des occupants.

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Tendre vers l’hospitality management

« Nos donneurs d'ordres les plus importants nous amènent vers des prestations qui sont plus proches du domaine du bâtiment avec plus de technicité qui nécessite de réels experts métiers en plomberie ou électricité, poursuit Ludovic Mores. Notre capacité technique est limitée par les compétences de nos collaborateurs et par le champ de notre code APE. Néanmoins, de par la taille d'entreprise et pour répondre à nos clients qui recherchent un seul interlocuteur, nous serons amenés à diversifier davantage nos offres. Dans un futur proche, nous proposerons des prestations plus complètes, nous rapprochant du facility management. »

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Vinci Facilities
David Ernest, Vinci Facilities -L’hospitality manager peut utiliser les outils digitaux, mais ce sont nos salariés qui interprètent les informations liées aux occupants.

Vinci Facilities déploie depuis trois ans une offre d'hospitality management : accueil personnalisé, préparation des salles de réunion, pilotage des services y compris la propreté, événementiel, mobility management. « Nous observons un développement de cette activité, ce qui d'ailleurs devrait aussi renforcer nos relations avec les entreprises de propreté », explique David Ernest, directeur du développement et de l'innovation. Un hospitality manager peut être mis en place sur des bâtiments à partir de 1 000 m². Pour les plus gros sites, il existe un hospitality manager pour gérer les zones d'accueil et le business center, lequel pilote des hospitality officers qui gèrent chacun un plateau.

« Pour les surfaces de moins de 2 000 m², il est possible d'avoir une offre de conciergerie par téléphone, estime Éric Laune. Les entreprises, qui ont du mal à recruter ou à garder les talents, doivent proposer à leurs collaborateurs un panel de services. » L'entreprise de propreté peut donc se diversifier vers des prestations annexes orientées vers les services à l'occupant.

Recrutement et formation

« Nous faisons évoluer le profil des salariés recrutés », annonce Gilles Giordano. Elior Services recrute des personnes disposant de formations hôtelières. L'entreprise déploie des formations complémentaires sur la partie métier des services et sur les aspects techniques. « Pour nos collaborateurs déjà en place, nous avons créé un package avec des notions de services hôteliers, précise-t-il. Nous faisons régulièrement une revue des talents pour faire évoluer ceux qui le souhaitent. » L'objectif est d'avoir une plus grande polyvalence des effectifs soutenus par des experts métiers.

Pour Pro Impec, les agents de propreté n'ont pas tous le souhait de prendre en charge des services différents. « Même si nous voulons faire monter en compétences nos collaborateurs, nous nous heurtons parfois à un refus en raison notamment de contraintes familiales », explique Ludovic Mores. Pour répondre aux besoins des occupants, les équipes devront être très polyvalentes pour apporter les solutions et gérer des prestations très variées. « Cette évolution se répercutera sur tous les niveaux de la hiérarchie », précise-t-il.

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Auris Finance
Éric Laune, Auris Finance-Les entreprises, qui ont du mal à recruter, doivent proposer à leurs collaborateurs un panel de services.

Chez Vinci Facilities, le recrutement porte sur des personnes qui ont soit une expérience en hôtellerie soit une formation dans une école hôtelière. « Nous avons un système de coaching des équipes via la filiale Opal, spécialisée dans l'hospitality management et la conciergerie d'entreprise, qui propose aux autres entreprises du groupe d'évaluer les capacités servicielles des collaborateurs, affirme David Ernest. Parfois, une formation peut être délivrée en complément. » Le groupe compte aujourd'hui plus de 200 hospitality managers.

Outils digitaux à l'appui

« L’hospitality manager peut utiliser les outils digitaux, mais ce sont nos salariés qui interprètent et combinent les différentes informations liées aux relations avec les occupants, estime David Ernest. Le numérique l’aide à faire son métier, à gérer certaines demandes d’intervention. »

Il est compliqué de savoir quelles sont les données vraiment utiles et la question juridique doit être abordée avec prudence. « Une plateforme commune est effectivement incontournable. C’est le cas sur certains sites où le client met à disposition les informations, témoigne Ludovic Mores. Mais faire communiquer les différents outils existants entre eux paraît très difficile. »

Elior Services a pour cette raison développer en interne des solutions pour s’affranchir de ces contraintes et de proposer un package global à ses clients. « Les outils numériques nous offrent la possibilité d'une gestion plus fine des prestations à l'usage et une meilleure communication en temps réel », complète Gilles Giordano.

« L’hospitality manager doit être capable de connaître son client et ses besoins pour réagir rapidement, lance Ludovic Mores. C’est avec le client que l’on va définir les indicateurs pertinents pour piloter et répondre au mieux à ses exigences en temps réel. Il faut beaucoup échanger avec lui pour appréhender ses attentes en termes de services. » Pro Impec mène de nombreuses réflexions autour de l’IoT, notamment pour adapter le fréquentiel.

Prestations à l'usage

Sur certains sites, Pro Impec met en place des forfaits en termes de régime de mise à disposition. « Nous avons de plus en plus des opérateurs qui jouent le rôle de régisseurs, explique Ludovic Mores. Pendant une plage horaire, ils sont présents et s’adaptent à la vie du site. » À l’avenir, les prestations reposeront à la fois sur des effectifs opérationnels et des équipes plus polyvalentes à l’écoute des besoins des occupants. « On tend vers une transformation des contrats de propreté vers une prestation à l'usage », observe David Ernest.

« La tendance est de passer d'une logique industrielle à une approche servicielle, estime Pierre-Yves Le Dilosquer. La valeur de la propreté n'est plus dans la maximisation d’un volume de mètres carrés à nettoyer mais dans la capacité à offrir le bon service, au bon moment et de la bonne manière selon les usages réels des bénéficiaires. »

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MDLP
Pierre-Yves Le Dilosquer-Cette période pourrait faire apparaître de nouveaux services pour renforcer la performance des environnements de travail.

L'enjeu principal de cette transformation est la flexibilité et l'adaptation des moyens humains. « Notre force, c'est notre réactivité, note Gilles Giordano. Le développement de nouvelles offres dépendra aussi de nos contraintes RH. » « C'est une difficulté car la convention collective n’est pas si souple, confirme Ludovic Mores. Nous pourrons mettre en place une nouvelle organisation sur des sites avec une forte volumétrie où nos salariés travaillent plutôt à temps plein. »

« Il ne faut pas oublier l'équilibre financier, lance Ludovic Mores. Les budgets ont tellement été rationalisés qu'il est difficile aujourd'hui de proposer plus. »

Quel modèle de contrat

Il existe une demande pour intégrer une variabilité dans les contrats, associée à l'occupation des locaux. « Nos nouvelles offres intègrent déjà une clause de variabilité, souligne David Ernest. Nous proposons des contrats plus flexibles en rabaissant le forfait et en mettant une variante liée au taux d’occupation des bâtiments. »

« Nous avons déjà avancé pour la partie maintenance, poursuit David Ernest. Pour la propreté, le groupe travaille avec ses partenaires pour trouver un modèle d’ajustement de leur contrat qui ne les pénalise pas. » Pour y parvenir, il faudra sans doute abandonner la logique du fréquentiel. L’hopitality manager sera d’ailleurs une personne clé pour piloter ces nouveaux contrats.  « En complément, nous étudions différentes solutions numériques comme les capteurs IoT qui permettent de savoir si les espaces sont utilisés et d’ajuster la prestation de propreté en fonction de l’usage réel », précise David Ernest.

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Elior Services
Gilles Giordano, Elior Services- Il s'agit de tendre vers l'hospitality management pour créer un concept de parcours utilisateur via des outils numériques adaptés.

« Le contrat avec objectif de résultat existe mais on nous demande toujours de lister nos moyens », témoigne Ludovic Mores. « La majeure partie des contrats sont des contrats de résultat avec moyens minimums, confirme Gilles Giordano. Les acheteurs ont certainement besoin de cela pour comparer les prestataires. »

Chez Elior Services, des tests sont réalisés sur des nouveaux modèles de contrat. « Mais il est difficile d’atteindre le niveau de flexibilité exigé depuis le début de la crise sanitaire, indique Gilles Giordano. Nous pourrons proposer des services supplémentaires associés à un pilotage plus fin et à plus forte valeur. »

Selon Éric Laune, pour ne pas diminuer les contrats tout en apportant plus de valeur ajoutée, des services à la carte et des prestations complémentaires doivent être développés. « Intégrer des frais fixes incompressibles dans les contrats tout en proposant des services additionnels peut être une solution », ajoute-t-il.

« Le marché de l'hospitality management est ouvert. Les entreprises de propreté peuvent très bien s'en saisir », affirme David Ernest. Pour Gilles Giordano, il faut s'attendre à une mutation du marché.

Définition

À la base réservée au secteur hôtelier et à l’événementiel, la notion d’hospitality est en pleine expansion. De plus en plus d’entreprises proposent ce type de service. On parle ainsi d’hospitality management et d’hospitality manager. L’objectif est d’assurer le bien-être des travailleurs et de garantir la bonne tenue et la qualité des prestations offertes. L’utilisateur est au centre des préoccupations.

L’hospitality management apparaît comme un enjeu central et stratégique pour opérer la transformation d’une approche industrielle vers une approche servicielle.

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