Dans un contexte de développement de la robotique, des entreprises de propreté ont commencé à mettre en place cette technologie sur certains sites. Elles ont opté pour la collaboration entre les agents de propreté et ces machines autonomes, ce qui nécessite organisation, adaptation et formation avec les équipes mais aussi avec les clients.

Robotisation : quelle place pour la cobotique dans les prestations de propreté ?

La robotique prend de l’ampleur dans l’ensemble des services aux particuliers comme aux professionnels. Se saisir de cette évolution ou la subir, l’enjeu est de taille pour les entreprises de propreté. La cobotique, c’est-à-dire la collaboration entre humains et robots, est-elle la réponse à une association réussie entre automatisation et propreté ? Comment intégrer des machines autonomes dans les prestations pour apporter plus de valeur ajoutée ? Pourquoi et comment former les collaborateurs du secteur ? Ces questions ont été abordées lors de l'émission organisée par le magazine Services le 29 septembre dernier et qui réunissait entreprises de propreté et fabricants de matériels.

« La cobotique consiste à créer une synergie entre l’homme et le robot sous forme de coactivité. Le robot est considéré comme faisant partie des équipes opérationnelles, explique Luc Plessis, directeur cobotique du groupe Onet. Depuis 2019, nous testons différents modèles de robots. Nous avons d’abord réfléchi à la manière d’intégrer la cobotique chez nos clients mais surtout au sein des équipes opérationnelles. » Des groupes de travail ont été créés au sein des agences en régions. Le service des ressources humaines est intervenu auprès des collaborateurs pour les rassurer : le robot ne remplacera pas les salariés dont les contrats de travail ne seront pas impactés. « Il nous a fallu deux ans pour constituer un process et des protocoles à mettre en œuvre », ajoute Luc Plessis.

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Eficium
Jean-François Renault,

« À l’échelle d’une ETI comme la nôtre, c’est un sujet sensible, estime Jean-François Renault, président d’Eficium, ETI installée en Île-de-France. Au début, des fabricants de robots se sont adressés directement à nos clients. C’était la crainte de voir le marché nous échapper. » L’entreprise s’est donc lancée dans la cobotique depuis cinq ans. Elle s’est intéressée d’abord aux robots adaptés à l’environnement industriel et logistique et, depuis deux ans, au secteur tertiaire.

Le robot, un coéquipier

« La cobotique est dans l’air du temps comme dans d’autres métiers, les services à la personne ou encore l’entretien des espaces verts », observe Bruno Gigondan, directeur associé de Boston Services, PME installée dans le Sud-Est. Boston Services teste actuellement des robots dans le tertiaire sur des sols plastiques ou des sols moquettés. « Le but est qu’il devienne un assistant de nos agents que nous faisons monter en compétences, poursuit Bruno Gigondan. Chacun a son propre rôle. » Les agents se concentreront sur certaines missions tandis que le robot accomplira les tâches répétitives.

Pour Rema Groupe, les machines autonomes sont un outil au service des entreprises de propreté. « En lançant le cobot, l’opérateur bénéficie d’un bonus temps qui va ensuite permettre de réaliser des missions complémentaires. Le cobot devient un coéquipier du machiniste. », estime Stéphane Spilotros, directeur commercial. L'entreprise a choisi de concevoir un robot de taille intermédiaire pour une prise en main facile. « Notre cobot fonctionne jusqu’à 8 heures et demie avec une charge et dispose de trois heures d’autonomie en eau », souligne-t-il

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Rema Groupe
Stéphane Spilotros,

Kärcher lance sur le marché un robot simple et convivial, limitant autant que possible la participation de l'agent à l'entretien de la machine pour privilégier les missions opérationnelles. « Nous avons souhaité simplifier le process d’utilisation du cobot en proposant un pack clé en mains, explique Axel Merceron. Nous proposons la fourniture de la machine, les mises à jour, les datas, le financement et le contrat de maintenance. » Dotée d'une station de remplissage, la machine dispose d'un réservoir de 55 litres. Le fabricant offre une solution globale automatisée sous forme de location longue durée. Il travaille aussi sur la réduction des TMS : les tâches à valeur ajoutée sont confiées à l’agent de propreté et les tâches répétitives au cobot.

Quelles typologies de sites ?

« Les demandes pour la cobotique émanent de tous les secteurs, public et privé, de l’industrie à la santé, en passant par les grandes surfaces ou les établissements scolaires », observe Axel Merceron. La taille du site et son encombrement sont des critères majeurs pour décider de la mise en œuvre du cobot. « Ces éléments seront importants pour assurer la rentabilité de l'investissement. Pour notre premier modèle compact, la surface devra être comprise entre 3 000 et 7 000 m² , précise Axel Merceron. La cobotique ne peut pas convenir à tous les sites. »

De par sa taille, le robot conçu par Rema Groupe est adapté aux sites allant de 3 000 à 20 000 m², tels que les aéroports, gares, galeries de centres commerciaux, entrepôts et industries. « Sa vocation est plutôt d'intervenir dans des zones dégagées, souligne Stéphane Spilotros, même si nous avons un algorithme d'évitement qui permet d'aller dans des zones plus étroites. »

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Onet
Luc Plessis,

Pour Luc Plessis, il n’existe pas réellement de secteurs prédéfinis. Les clients souhaitent expérimenter cette innovation pour savoir quelle valeur ajoutée elle peut apporter. « Le bonus temps peut améliorer la qualité de certaines tâches, en permettant par exemple d’effectuer des finitions, affirme-t-il. La cobotique peut être mise en place sur tous les sites à condition de suivre un protocole élaboré conjointement par l’entreprise de propreté, le fabricant du cobot et le client, en tenant compte des spécificités. »

« Les premiers cobots que nous avons testés pour le balayage des sols ont des durées d’utilisation de deux heures, témoigne Jean-François Renault. Nous expérimentons actuellement des robots de lavage avec un rendement supérieur, de 800 m² par heure. Progressivement, les solutions s’améliorent. » Des robots plus ergonomiques et plus petits sont aujourd'hui adaptés à des surfaces dans le tertiaire ou même la santé (à partir de 3 000 m²).

Un équilibre économique à trouver

« Nous développons des essais avec des matériels autonomes d’aspiration et de lavage, poursuit Jean-François Renault. Pour l’instant, nous ne pouvons pas le facturer car ces coûts s'ajoutent aux frais de personnel. Ces investissements font partie de notre budget développement. »

« Malgré les coûts, nous nous devons néanmoins de nous lancer dans ce virage technologique », reconnaît Bruno Gigondan

« Mon objectif est de satisfaire les clients, en apportant de la qualité, et de faire en sorte d’améliorer les conditions de travail et l’ergonomie, ajoute Jean-François Renault. Il faut trouver l’équilibre économique. Chaque entreprise du secteur doit investir sur ce sujet. Ainsi, les fabricants pourront réaliser des économies d’échelle et baisser les coûts. »

Luc Plessis estime qu'il est nécessaire de créer une relation tripartite entre l’entreprise de propreté, le fabricant et le donneur d’ordres : « Ensemble, nous trouvons le bon équilibre financier. Puis, nous intégrons les cobots dans les prestations. » Pour mettre en place la cobotique sur un site, sans jamais toucher aux contrats des salariés, l’entreprise travaille pour par exemple revoir les prestations, réorganiser ou modifier le cahier des charges au moment d’intégrer la cobotique.

« La réaction des agents de propreté est très favorable », affirme Jean-François Renault. Le robot suit un chemin tracé selon une cartographie effectue par détourage, ce qui rend les opérations très simples. Le traitement des sols est réalisé par le cobot et le reste des prestations par l’agent (finitions, dépoussiérage…).

Accompagnement des fabricants

Rema Groupe réalise des démonstrations et des formations qui ne sont pas facturées. Il s’engage financièrement sur l’accompagnement des professionnels de la propreté. « Nous avons investi dans dix cobots pour que chaque région soit autonome dans ses démonstrations », ajoute Stéphane Spilotros. Il existe une réelle réflexion sur la durée des contrats. Aujourd’hui, un contrat de location full services d’un cobot a une durée de trois ans. « Il serait bénéfique de l’allonger pour permettre un amortissement sur une période plus longue », poursuit-il.

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Karcher
Axel Merceron,

Kärcher a investi des sommes importantes en R&D pour le développement des machines autonomes. « Nous accompagnons nos clients entreprises de propreté pour le déploiement du robot, explique Axel Merceron. Nous les aidons à convaincre le client final que cette solution a du sens. Nous pouvons aussi participer à la réorganisation des prestations : étude de faisabilité, étude de rentabilité et rédaction du cahier des charges. »

Convaincre fait appel à une responsabilité du fabricant pour la réussite du projet de cobotique. « Une prise de conscience du marché est nécessaire, affirme Stéphane Spilotros. Les entreprises de propreté se battent pour conserver une avancée technologique sur ce sujet. Mais les clients ont aussi une part de responsabilité, notamment en matière d’aménagement des sites, de communication et de coactivité. »

Pour la maintenance des cobots, tous les fabricants ont mis en place une offre en location full services. Chez Rema Groupe, celle-ci intègre la location, les services et consommables, le module 3.0 (avec mises à jour à intervalles régulières) et la connexion à distance. Pour sa solution automatisée, Kärcher propose un contrat de location financière en full services, qui inclut maintenance préventive, consommables, état de santé de la machine, télématique et mise à jour et planification de visites régulières.

« Le service après-vente est très important, ajoute Luc Plessis. Si le cobot tombe en panne, nous avons besoin d’une solution rapide pour assurer la continuité de nos prestations ». Sur certains sites où il existe un service de régie, Onet envisage de former une partie de son encadrement pour prendre en charge des interventions de maintenance de premier niveau sur les robots, avec l’aide à distance du fabricant.

Formation et conduite du changement

« L’intégration des cobots dans les prestations nécessite de former et d'accompagner les collaborateurs pour la manipulation du robot, ce qui va valoriser leur métier, affirme Bruno Gigondan. Avec l'aide des fournisseurs, il faut consacrer du temps sur le terrain pour mettre en place le changement tout en faisant preuve de pédagogie. »

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Boston Services
Bruno Gigondan,

Onet a mis en place des modules de formation en vidéo sur une application interne destinée à son encadrement. « Pour commencer à avoir un changement, il faut compter 8 semaines », signale Luc Plessis. Un process a été mis en place en amont de l’intégration de la cobotique. « D’abord, nous rencontrons le client puis nos équipes opérationnelles. Ensuite, nous rédigeons les prérequis tout en prenant en compte les spécificités du site, poursuit-il. Une réunion commune est organisée pour expliquer ensemble les objectifs et le fil conducteur car les changements doivent être implémentés auprès de nos salariés mais aussi de ceux du client. » Une fois que les salariés sont rassurés sur leur contrat de travail, ils prennent en main correctement l'intégration de la cobotique.

Rema Groupe propose un accompagnement sur trois jours. « Le collaborateur réalise un premier parcours, puis un second. Petit à petit, nous améliorons et optimisons l'intervention du cobot, indique Stéphane Spilotros. Au troisième jour, les enregistrements de parcours sont finalisés. » Pour lui, il serait intéressant d'avoir au moins un référent cobot dans l'entreprise de propreté pour assurer une forme de continuité.

Une fois que le projet cobotique est déterminé et viable, Kärcher effectue une démonstration de deux à cinq jours sur site. Un calendrier de déploiement est ensuite élaboré avec la formation et la mise en service. « Nous laissons travailler les équipes quelques jours avec le cobot car souvent les questions arrivent après quelques jours », indique Axel Merceron. La technologie va encore évoluer.

Laurent Prulière, GSF : « Être utile pour accompagner l'agent »

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GSF

Nous avons beaucoup investi dans l'appropriation de ces nouvelles technologies. Nous travaillons sur la manière dont le robot peut être utile pour accompagner l'homme. Nous voulons créer une réelle alchimie. Les atouts sont nombreux : réduire la pénibilité, amener une image novatrice, améliorer la qualité, optimiser les coûts. Nous avons testé plus d'une dizaine de modèles de cobots pendant 800 heures sur 200 000 m².

De quelle manière déterminer si la cobotique est adaptée au site ?

La mise en place de cette technologie doit se faire en partenariat avec le client. Toutes les prestations ne sont pas éligibles à la cobotisation. Trois critères sont à privilégier : des surfaces très grandes, un niveau d'encombrement très faible et une coactivité très faible. Il s'agit par exemple des halls et circulations dans le tertiaire ou la santé, les entrepôts logistiques ou des zones à faible encombrement dans les surfaces de vente.

Comment intégrer cette évolution aux cahiers des charges existants ?

Nous avons travaillé sur une méthodologie spécifique pour concevoir les organisations les plus performantes. Chacune de nos 29 filiales compte un référent nouvelles technologies (RNT) chargé de faciliter le déploiement des outils digitaux et d'équipements comme les cobots. Après analyse du cahier des charges avec le client, nous identifions les prestations à repenser en mode automatique et nous choisissons les machines les plus adaptées (fiabilité, autonomie, performance du SAV). Nous recalculons la durée des prestations et le temps humain nécessaire pour accompagner le cobot. Une fois que les bénéfices sont identifiés, nous repensons les tâches avec l'aide de l'encadrement local. Nous formons nos salariés et nous sensibilisons ceux des clients, avant de paramétrer les cobots.

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