Philippe Jouanny, président de la FEP, Vincent Fischer, vice-président, et Gilles Rafin, secrétaire général, expliquent comment les entreprises de propreté sont touchées de plein fouet par la crise sanitaire actuelle et de quelle manière la fédération est présente à leurs côtés pour les soutenir et les accompagner.
Quelles sont les conséquences économiques de la crise du Covid-19 sur les entreprises de propreté ?
Philippe Jouanny : Cette crise est sans précédent pour notre économie et nos entreprises. Il y a d’abord les impacts directs et perceptibles qui représentent une perte d’activité d’en moyenne 60 % pour nos entreprises. Si certaines enregistrent une perte d’activité, elles sont en même temps sollicitées sur de la désinfection mais ces travaux exceptionnels ne combleront pas la chute globale de l’activité. Au-delà de ce premier chiffre la FEP a lancé une vaste enquête afin de recueillir un maximum de données et ainsi affiner nos besoins auprès des pouvoirs publics. Sincèrement, cette crise va laisser des traces, et je le constate chaque jour lors de mes échanges avec les chefs d’entreprise partout sur le territoire.
Gilles Rafin : Les secteurs les plus touchés par la perte d'activité sont notamment les bureaux, hôtels, centres de loisirs & spectacles, éducation, écoles, transports… En revanche, l’activité en santé est maintenue compte tenu de la nécessité d’assurer l’entretien des établissements de santé et Ehpad, ainsi que pour lutter contre le Covid-19.
Vincent Fischer : La principale conséquence économique est la perte de chiffre d'affaires liée à la fermeture des chantiers, (bureaux, hôtels, centres de loisirs & spectacles, éducation, écoles, transports…), hormis dans les magasins alimentaires, l'industrie agroalimentaire et l'habillement. Seuls quelques bâtiments tertiaires sont occupés et quelques industries commencent à rouvrir, mais aussi certaines écoles qui accueillent les enfants des personnels soignants. Le mois de mars a été en partie impacté et le mois d’avril varie de 20 à 40 % seulement, ce qui va entraîner des difficultés de trésorerie.
Comment se sont-elles organisées pour faire face à cette crise sanitaire ?
Philippe Jouanny : Les entreprises ont dû s’adapter face à la fermeture des sites clients et réorganiser dans les meilleures conditions la répartition de leur personnel dont une part est en chômage partiel. Certaines entreprises ont pu réorganiser leurs équipes sur les sites quand d’autres sont extrêmement sollicitées en raison des demandes d’intervention plus fréquentes en fonction du site et de la nature de la prestation. Je tiens à remercier tous les agents, chefs d’équipes et encadrants des entreprises de propreté ; tous ces héros du quotidien qui travaillent aujourd’hui comme demain à l’entretien et l’hygiène des espaces de travail, de vie et de santé et par leurs actions au confort et bien-être de chacun.
Vincent Fischer : En effet, les entreprises ont mixé les solutions avec des arrêts de travail pour garde d'enfant, mais aussi des arrêts maladie pour les salariés atteints par le Covid-19 ou pour ceux à risques. Et elles ont été contraintes de mettre tout ou partie de leurs effectifs au chômage partiel. Certaines ont parfois eu du mal à accéder au dispositif ou à avoir les bons interlocuteurs. La situation est aujourd'hui rentrée dans l'ordre. Les salariés ont la plupart du temps fait preuve d'un grand sens civique et nous pouvons en être à la fois fiers et reconnaissants.
De quelle manière la FEP peut les accompagner le mieux possible ?
Philippe Jouanny : Les différents services de la Fédération sont à pied d’œuvre depuis le début de cette crise exceptionnelle et le resteront pour accompagner les entreprises de propreté. À ce titre, je tiens à rappeler que nous avons mis à disposition des entreprises une boîte à outils disponible sur le site Monde de la Propreté qui permet de répondre à de nombreuses questions techniques, juridiques et sociales que se posent les entreprises en ce moment. De plus, la FEP œuvre activement en matière de relations institutionnelles auprès du gouvernement et des différents ministères concernés.
Vincent Fischer : Le SVP adhérents est totalement orienté sur les questions des entreprises sur le Covid-19, depuis le début de la crise mais aussi en période de réalisation des paies. Les chambres régionales ont agi pour trouver des solutions de terrain, notamment en faisant l'acquisition mutualisée de masques, un sujet que nous ne manquons pas de souligner lors de nos sollicitations avec la presse générant par ailleurs de belles retombées médiatiques.
Gilles Rafin : Sur le plan économique, la FEP est en effet intervenue auprès des administrations (Matignon, Bercy, Ministère du travail et Ministère de l’Intérieur…) pour faciliter ce temps difficile de la crise pour les entreprises (conditions de refacturation pendant la crise, notamment en ce qui concerne les marchés publics, trésorerie, reports d’échéances, mesures relatives au chômage partiel). Elle s'est aussi mobilisée en contactant les fédérations représentant les acheteurs privés (notamment l'Arseg) pour examiner avec eux les conditions de facturation et de poursuites des contrats.
Quelles sont vos actions auprès des pouvoirs publics pour faire reconnaître la propreté comme service essentiel ?
Philippe Jouanny : Vous le savez, faire reconnaître le caractère essentiel de nos métiers est primordial. Force est de constater qu’avec cette crise sanitaire, nos métiers sont à l’instar du corps médical, en première ligne. L’action de la FEP n’a de cesse d’œuvrer en ce sens avec. Nos métiers sont souvent qualifiés de professions de l’ombre, aujourd’hui, cette crise a le mérite de placer nos salariés en pleine lumière. Nous multiplions, au national comme au local, les interventions dans les médias comme l’a souligné Vincent Fischer (presse, radios, télévisions), ce sont près d’une cinquantaine de retombées en 3 semaines. De nombreux témoignages de salariés, d’entrepreneurs ont été repris, à l’image de celui de la présidente de la commission européenne, Ursula Von der Leyen a même mis en avant les « cleaners » : « Ces héros qui mettent tout en jeu, jour après jour, pour sauver nos parents et nos grands-parents, amis et collègues, voisins et étrangers. L'Europe a envers vous tous une dette de gratitude : les magasiniers et les éboueurs, les agents des pompes funèbres et les assistants d’éducation, les chauffeurs de poids lourds et les agents de nettoyage, les ouvriers et les boulangers, tous ceux qui aident notre monde à tourner. L'Europe a envers vous tous une dette de gratitude. »
Gilles Rafin : Les entreprises et la FEP sont intervenues à de multiples reprises auprès des pouvoirs publics pour que nous soyons prioritaires pour l’obtention des équipements de protection et pour faciliter les déplacements de nos agents mais aussi leur hébergement. Ce sont des actions qui, mises bout à bout, génèrent un certain écho auprès des décideurs publics et notamment sur le volet social et économique fondamental en de pareils moments.
Quelles aides économiques solliciter ?
Gilles Rafin : Le gouvernement a annoncé plusieurs mesures visant à soutenir les entreprises. Bien que celles-ci soient évolutives, certaines sont d’ores et déjà accessibles comme le prêt garanti à hauteur de 90 % pour les PME et ETI et pour les entreprises de + de 5 000 salariés à hauteur de 70 %, la mise en place d’un Fonds de solidarité et le report des loyers et le dispositif de mise en chômage partiel. Si certaines entreprises rencontrent des difficultés avec leurs banques, il est toutefois possible de saisir gratuitement la médiation de crédit de la Banque de France. L’ensemble des acteurs économiques locaux sont à la disposition des entreprises à savoir les Chambres de commerce et les Chambre des métiers et de l’artisanat, les administrateurs et mandataires judiciaires. L’ensemble des mesures mobilisables est accessible en ligne sur le site du ministère de l’Économie et des Finances https://www.economie.gouv.fr/
En matière de prévention, les entreprises sont-elles suffisamment préparées et équipées pour assurer la protection de leurs salariés ?
Philippe Jouanny : Les entreprises de propreté ont beaucoup œuvré en ce sens, il faut ajouter la politique de prévention de santé et sécurité au travail (S&ST) élaborées depuis plusieurs années par le FEP et le Fare Propreté. C’est dans des périodes difficiles comme celle d’aujourd’hui que l’on peut en mesurer la pertinence. Toutefois, la vague du COVID-19 dépasse tous les scénarios envisageables. Mais la lutte contre le COVID-19 dépasse les moyens habituels de nos entreprises qui, bien qu’ayant pour certaines réussis à s’équiper en protections adéquates, ne pourront pas tenir indéfiniment. Nombreuses ont d’ores et déjà leurs stocks de matériels de protection épuisés. C’est pourquoi la FEP a lancé un appel au gouvernement pour pouvoir bénéficier des protections nécessaires (masques, surblouses, etc.).
Vincent Fischer : En effet, depuis la crise sanitaire de la grippe H1N1, il y a dix ans, les entreprises ont adopté certains réflexes. Dès janvier 2020, beaucoup se sont constitué un stock de gants, de gels hydroalcooliques et de produits virucides. Mais le problème s'est essentiellement porté sur les masques en particulier pour les entreprises qui, par la nature de leur prestation, n’en avaient pas l’usage intensif.
Quelles leçons pourrons-nous tirer de cette crise ? Peut-elle changer l’image des métiers de la propreté de façon durable ?
Philippe Jouanny : Ce n’est pas tant l’image de nos métiers qui doit changer que le regard que les Français y portent. Je suis convaincu que cette crise va contribuer à changer les regards et à combattre les a priori pour plusieurs raisons. D’une part nos collaborateurs ont répondu présents pour assurer la continuité de service et, de ce fait, ils étaient visibles, et présents dans les médias et ont suscité l’admiration. D’autre part l’hygiène devient – enfin - un besoin essentiel de santé publique, ce n’est plus accessoire, ce ne peut être infiniment bradé. Dans ce sens, je crois que les choses ne seront plus comme avant.
Vincent Fischer : Une des grandes leçons est cette entraide, cette solidarité qui s’est créée et la bienveillance entre les dirigeants d'entreprise de notre secteur. Je ne sais pas si l'image positive de nos métiers perdurera mais ceux-ci ont en tout cas été mis en lumière comme ils le méritent. Il faudra transformer l'essai.
Gilles Rafin : Il est encore trop tôt pour le dire. Mais il est certain que la place de la propreté est apparue centrale pour lutter contre la pandémie et la poursuite de l’activité, notamment en santé. En outre, de nombreuses entreprises qui étaient en autoprestation se sont rendu compte qu’il était plus facile de gérer la crise avec un prestataire extérieur qui dispose de moyens plus importants (technicité, savoir-faire, facilités de remplacements, multitude de sites…), et qui peut mobiliser des moyens élargis en cas de crise.
Comment préparer le retour à la normale ?
Philippe Jouanny : Je ne sais pas si les choses pourront être à nouveau « normales ». Cette crise va laisser des traces pour l’ensemble des secteurs d’activité et rien ne sera plus pareil. Nous allons mettre en place une équipe pour préparer cette sortie de crise : quels besoins prioritaires pour les entreprises, quel appui de leur Fédération, quelles mesures pousser au niveau politique ? Il faudra tirer les leçons, à tous les niveaux, pour mieux se préparer à affronter à l’avenir des situations de ce genre mais aussi prendre les bonnes décisions rapides pour atténuer les effets secondaires sur le tissu économique.
Vincent Fischer : C'est la grosse angoisse pour les entreprises de savoir quand le redémarrage aura lieu, à quelle vitesse les chantiers vont rouvrir, en fonction des mesures qui seront prises pour le déconfinement progressif, avec une analyse par segment des possibilités de reprise et des mesures adaptatives nécessaires pour nous. Quels salariés seront présents et quels types de prestations seront demandés. Il n'est pas certain qu'elles pourront garder tous leurs marchés. Une chose est sûre : il faut aborder cette crise grave avec du sérieux tout en gardant son calme.