Plusieurs mois après le début de la pandémie, bon nombre d'acteurs du secteur s'interrogent sur l'éventuelle rupture qu'elle a pu provoquer. De prestataire d'un service de nettoyage, l'entreprise de propreté est passée au rang de garant de l'hygiène. Peut-elle saisir cette opportunité pour intégrer une nouvelle dimension au sein d'une offre globale hygiène et environnement ?

« Hygiène et environnement : pourquoi et comment intégrer une approche globale dans son offre ? » Quatre intervenants ont apporté des éléments de réponse à cette interrogation à l'occasion de la première table ronde de la matinée de web conférences animée par le magazine Services le 6 octobre. Cet événement avait pour thème la performance environnementale des entreprises de propreté. Il était organisé en partenariat avec le Monde de la Propreté et le soutien de Kärcher France, Raypath International et Werner & Mertz Professional.

Pour resituer les enjeux environnementaux dans le contexte de la crise sanitaire, les participants ont débattu sur le sujet : la pandémie a-t-elle créé une rupture mettant en lumière la valeur de la propreté en tant qu’élément participant à la performance d’usage des espaces (garantie d’hygiène, sécurisation des occupants, confiance des usagers, qualité environnementale). François Hubault, économiste et ergonome, maître de conférences et chercheur au sein du laboratoire d’intervention et recherche Atemis, a essayé de démontrer que la crise sanitaire avait en effet permis de mieux percevoir la valeur de la propreté. « Il faut souligner le fait que cette crise n'est pas seulement sanitaire mais aussi économique et sociétale, affirme-t-il. Elle est en résonance très forte avec les notions de développement durable et de "propreté du monde". »

Le monde d'après ?

« Toutes ces affaires mettent en lumière les limites du paradigme industriel : la prétention à pouvoir se saisir du monde sans effet parce qu'on en aurait la totale maîtrise. C'est faux : le réel résiste », poursuit François Hubault. La société doit faire le deuil de la tentation de toute puissance car il est impossible de contrôler tout son environnement. Est-ce qu'aujourd'hui est le moyen d'un demain différent ? Pour lui, ce n'est pas joué du tout : « Les entreprises de propreté sont aux avant-postes de ces questions. » Il est important de savoir à quelle échelle on raisonne car c'est un enjeu politique, économique et sociétal. Dans les entreprises et entre les entreprises, comment est-on capable de trouver un accord sur ce qu'est la valeur ? « Doit-on protéger les gens contre quelque chose ou construit-on des moyens pour qu'ils se protègent eux-mêmes ? », s'interroge François Hubault. Il existe une question sur le sens du mot propreté qui renvoie, en langue française, à deux accessions : une qualité substantielle de quelque chose qui n'est pas sale (dimension industrielle) et la façon dont un espace est propre à l'usage (performance d'usage, utilité : confort, communication…). « Les professionnels de la propreté ont donc comme enjeu de prendre en charge les conditions à mettre en place pour que la promesse de l'espace organisé soit tenue dans le réel. Les entreprises doivent être à l'écoute du besoin de l'autre dans l'usage qu'il a des locaux. Pour y parvenir, la coopération est indispensable avec un dispositif établi de pilotage et de management, prévient François Hubault. Le propre - dans le sens pas sale - relève de l'environnement au sens biophysicien, le propre - au sens de rendre propre à l'usage - relève d'une dimension du territoire qui vient épauler les capacités d'agir et le développement. La pandémie a placé cette question dans l'actualité : les entreprises de propreté peuvent s'en saisir. »

FRANÇOIS HUBAULT, ATEMIS

Innover pour repenser le modèle

Pour Patrice Anderouard, directeur du département marketing & communication de Kärcher, il est en effet souhaitable et envisageable que la crise sanitaire entraîne un basculement dont pourraient tirer parti les professionnels du secteur : « La période aura permis de braquer les projecteurs sur des professions qui étaient dans l'ombre hier. Nettoyer, c'est aujourd'hui offrir les conditions sanitaires préservant l'usager. » Il estime que le changement est profond en raison des nouvelles habitudes de consommation des usagers, qui feront pression sur les acteurs économiques, entreprises de propreté, clients et fabricants. « Ce mouvement de prise en compte de l'environnement aura un effet vertueux, indique Patrice Anderouard. L'évolution peut être assez lente car il existe une équation économique à résoudre qui passe principalement par le prix. » Pour lui, l'innovation peut permettre de repenser le modèle. « Le partage et la collaboration apporteront des solutions nouvelles en commun, plus faciles à mettre en œuvre », affirme Patrice Anderouard. La durabilité est d'ailleurs au cœur de l'offre de Kärcher, de l'ADN du groupe, en tant que structure familiale et indépendante. « Il faudra qu'on se retrouve avec un certain nombre d'acteurs de la profession pour faire le chemin ensemble. Nous devons sortir de la contrainte du prix pour gagner de la valeur

JEAN-PIERRE MINJARD, TIME PROPRETÉ

Un rôle fondamen

De leur côté, les entreprises de propreté ont eu fort à faire avec la crise sanitaire. Quelles en sont les conséquences ? Quelles leçons en tirer ? « Nous avons connu deux temps : celui de l'urgence et celui de la recherche de solutions plus écologiques », affirme Muriel Duguay, responsable des projets RSE au sein de la Direction développement responsable d'Onet. Au départ, le groupe a dû répondre dans un temps très court aux demandes exponentielles de ses clients, soit pour reprendre leur activité, soit pour leur permettre de la poursuivre. Une offre de désinfection à étages a été mise en place : de la simple désinfection à la désinfection par voie aérienne. « Nous avons observé une forte coopération au sein de nos équipes en particulier au sein de notre division santé mais aussi entre nos collaborateurs et nos clients avec une recherche perpétuelle d'innovations », indique Muriel Duguay. Le rôle fondamental de la propreté a été mis en exergue. Dans un second temps, Onet, engagé depuis plus de vingt ans dans une politique de développement durable, a réfléchi à des solutions plus écologiques pour faire face à la crise du Covid-19. L'entreprise a développé depuis 2017 une offre globale hygiène et environnement, basée sur des produits biotechnologiques. « Pendant la crise, un changement des directives du ministère du Travail a autorisé progressivement le retour des détergents non désinfectants, actifs contre la membrane lipidique du virus, explique Muriel Duguay. C'est le cas des produits de l'offre Biogistic. »

Les entreprises de propreté ont une opportunité à saisir.

Time Propreté, une entreprise employant une centaine de salariés à St-Étienne (Loire), a aussi connu les mêmes étapes. « Le plus important était de mobiliser les équipes que je remercie aujourd'hui, souligne le dirigeant, Jean-Pierre Minjard. Nous nous sommes rapprochés d'une psychologue qui nous a aidés à leur montrer notre reconnaissance. C'est une dimension de la RSE qui n'est pas négligeable. »

Faire la différence

« Avec la crise sanitaire, nous avons remis l'hygiène au cœur de notre métierCette notion nous positionne de manière différente vis-à-vis des acheteurs qui nous voient comme des experts : c'est valorisant pour notre profession.Cet ensemble a permis de faire évoluer notre offre vers une proposition différenciéeOn nous choisit car nous proposons un véritable projet, même si nous sommes un peu plus chers.

Time Propreté a suivi la première formation-action RSE mise en place par la FEP et le Fare Propreté. « Au départ, nos clients ne s'y intéressaient pas. Aujourd'hui, nous observons un réel changement car ils y sont de plus en plus favorablesUne offre globale est nécessaire.

Au coeur des débats de la première web conférence de la matinée organisée par Services : l’approche globale hygiène et environnement.

Des exemples concrets

Onet a mis en place la solution Biogistic pour répondre aux principaux enjeux de la profession que sont la santé des utilisateurs et des occupants des locaux et la réduction de l'impact sur l'environnement. C'est l'association de produits écolabels, biotechnologiques et ultra-concentrés, d'une centrale de dilution mobile et d'une réorganisation des prestations de propreté (utilisation et réutilisation des bidons plastiques). « Cette approche basée sur l'économie circulaire nous permet d'optimiser nos process de façon logistique », souligne Muriel Duguay. Résultats : protection des personnes (sans allergène, sans COV), moins de rejets dans les eaux usées (produits biodégradables), réduction des déchets plastiques de plus de 30 %.

PATRICE ANDEROUARD, KÄRCHER FRANCE

Time Propreté utilise depuis trois ans des centrales de production d'eau ozonée stabilisée. « L'avantage de cette eau est d'être efficace pendant 24 heures, explique Jean-Pierre Minjard. Nous sommes passés à la préimprégnation, une méthode écologique (moins d'eau, moins de produit) beaucoup plus ergonomique. » L'eau ozonée est désinfectante et agit contre les virus. Elle redevient de l'eau au bout de 24 heures (très faible impact environnemental). Les vaporisateurs et les bidons sont réutilisés. « L'eau ozonée remplace la chimie sans être beaucoup plus chère (30 centimes le litre), précise Jean-Pierre Minjard. C'est la mise en place des process et l'achat de machines à laver et sèche-linge qui nécessitent un investissement plus élevé. Par contre, le résultat est très performant sur l'ensemble de nos chantiers. » Avec cette solution, l'entreprise stéphanoise a pu remporter deux importants marchés ces derniers mois.

Dans le cadre de leur démarche globale, les entreprises de propreté travaillent aussi sur la gestion de flotte et la mobilité. Jean-Pierre Minjard a participé à la création d'un plan de mobilité au sein de la commission RSE du Spenra, chambre régionale Rhône-Alpes de la FEP. Il a aussi mis en place des actions au sein de son entreprise qui intervient en zones urbaines, périurbaines et rurales : achat de véhicules électriques, hybrides ou au minimum respectant les normes de dépollution Euro 5, réduction et optimisation des déplacements, formation des collaborateurs à l'écoconduite. « Chaque salarié équipé d'un véhicule peut lui-même suivre son bilan carbone. Les collaborateurs sont très impliqués pour moins consommer », précise le dirigeant.

Onet s'est penché depuis 2019 sur la gestion de la mobilité (flotte automobile, déplacements des collaborateurs). « Notre objectif est d'avoir une feuille de route sur les dix prochaines années pour nous adapter aux enjeux climatiques, à la mutation du secteur automobile, aux évolutions réglementaires et aux changements des modes de travail », affirme Muriel Duguay. Par ailleurs, le groupe a étudié la question de la fin de vie des matériels de nettoyage, à travers un partenariat avec Prodim et Récylum depuis 2018. Le but est de participer à la création d'une filière de recyclage de tous les appareils électriques utilisés. L'ensemble des agences Onet bénéficient de cette solution.

« Une des initiatives de Kärcher est de se préoccuper du recyclage des machines, souligne, pour sa part, Patrice Anderouard. Notre plan stratégique 2020-2025 se déploie avec une dominante durabilité qui est très importante. On s'engage sur un niveau zéro d'émission zéro pour l'ensemble de nos sites de production d'ici 2021. Nous sommes aussi dans une logique de réduction des matières utilisées, mais aussi de recyclage et de réutilisation. » Le fabricant a quadruplé depuis 2012 la quantité de plastiques recyclés utilisés. La filiale Kärcher Use Equipment permet de reprendre les machines et leur donne une seconde vie.

Au plus près des usages

Kärcher mise beaucoup sur des solutions de nettoyage connecté, qui permet d'être au plus près des besoins et d'utiliser aussi la juste quantité d'énergie, d'eau, de produit… « La masse salariale étant très importante dans le coût des prestations, le nettoyage le plus efficace est celui qui répond aux besoins. L'intelligence artificielle peut les déterminer grâce à un ensemble de capteurs adaptant le nombre de passages, estime Patrice Anderouard. C'est une équation économique qui vient trouver un certain nombre de solutions nouvelles. Le nombre des tournées de nettoyage peut être réduit d'un tiers. Toute l'organisation du travail est donc modifiée. C'est de la création de valeur car on transforme le métier. L'objectif est d'assurer les conditions sanitaires optimales pour l'usager. »

MURIEL DUGUAY, ONET

Pour François Hubault, il existe un mouvement très profond. « La recherche d'un nouveau modèle économique est compliquée, estime-t-il. Le problème est de savoir comment on fait reconnaître la valeur qu'on a créée. Dans une économie industrielle, la valeur est le produit. Dans une économie qui se servicialise, la valeur n'est pas la voiture mais la mobilité. Il faut désindexer la valeur du volume. » L'écologie industrielle - ou l'économie circulaire - organise une forme de décrochage : les volumes utilisés sont recyclés et trouvent une autre issue que la déchetterie. Du point de vue du paradigme économique, ce n'est pas une rupture de fond. La question du service que rend la matière n'est pas posée. « C'est l'enjeu de l'économie de la fonctionnalité et de la coopération », ajoute l'expert. La valeur pose un problème de révélation. Les ressources immatérielles sont difficiles à objectiver et en particulier dans des termes monétaires : la pertinence de l'organisation, la confiance entre les gens, la qualité collective de l'organisation, le développement de l'écoute… Des dispositifs doivent être mis en place pour les révéler puis pour les traduire. Il faut donc convenir que ces ressources existent et établir les conditions partagées dans lesquelles la valeur peut s'exprimer. « Les dirigeants d'entreprises de propreté sont face à un défi absolu et ont besoin d'échanger, de trouver des expertises… Des rencontres de coopération peuvent les y aider, estime François Hubault. Les ressources immatérielles sont de véritables innovations. Les innovations technologiques seules ne suffiront pas pour permettre le décrochage. »

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